Le contenu de cette page a été écrit et publié sous la direction de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) qui a rejoint l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI) le 1er janvier 2021. Il était important pour la direction de l'IHEMI de conserver l'ensemble du contenu de l'INHESJ, qui constitue désormais la mémoire de l'institut.
Introduction
Les violences sexuelles, avec les violences conjugales, échappent très souvent à la pénalisation, du fait de la difficulté à obtenir un dépôt de plainte avec les éléments nécessaires, permettant de qualifier juridiquement les faits. Par ailleurs, la plainte peut parfois intervenir des mois voire des années après, sans aucune preuve physique, ce qui conduit à confronter deux récits différents. La notion de consentement intervient alors, et contribue à la difficulté pour l’enquêteur de faire la part des choses.
Intervention d’Océane Perona
Océane Perona a concentré sa recherche sur l’enquête policière, entre le moment où la victime dépose plainte et celui où le magistrat du parquet prend une décision. Environ 80% des affaires de viols sont classées sans suite par le parquet à l’issue de l’enquête. Les viols jugés en assises ne sont donc pas représentatifs de la réalité des plaintes pour viols.
Le consentement désigne un état mental subjectif, qui est difficile à objectiver juridiquement. De plus, la définition du code pénal français ne fait pas référence au consentement, mais cette notion a une existence jurisprudentielle abondante et ancienne (1857).
Les modalités de la démonstration du non-consentement fondées sur une analyse relationnelle
Hiérarchie entre les affaires fondées sur des éléments juridiques et extra-juridiques
La distance sociale et relationnelle entre la personne plaignante et la personne mise en cause a un effet sur le jugement du policier, qui se synthétise en deux grandes catégories : le viol par inconnu et le viol conjugal.
Dans les cas de viol par inconnu, on observe une importante distance relationnelle et sociale. Le policier rabat alors la question du consentement sur celle du désir, avec l’idée qu’il est plus probable qu’une femme souhaite avoir une relation sexuelle avec une personne qu’elle connait et proche d’elle socialement.
Au contraire, dans les cas de viol conjugal, il existe une forte proximité relationnelle entre deux conjoints ou ex-conjoints, et très souvent une proximité sociale. Le policier dissocie alors le consentement du désir, en considérant que la femme a pu être consentante sans nécessairement ressentir de désir.
Il existe ensuite phénomène d’anticipation par les policiers sur le potentiel d’aboutissement de la plainte. En effet, statistiquement, plus la victime et l’auteur sont proches, plus la dénonciation est tardive, moins d’éléments médico-légaux sont retrouvés, moins les policiers sont enclins à placer la personne mise en cause en garde-à-vue, à auditionner plusieurs témoins, et plus le magistrat classe sans suite. Ainsi, les viols conjugaux sont la catégorie d’affaires pour laquelle les policiers auditionnent le moins de témoins.
Les différentes normes mobilisées par les policiers pour juger les conduites sexuelles
Selon l’analyse d’O. Perona, les conduites sexuelles féminines sont jugées par les policiers à l’aune de normes de prudence, de retenue et de conjugalité. Selon les normes de prudence et de retenue, la sexualité représente pour les femmes un risque contre lequel il leur appartient de se prémunir. Selon la norme de conjugalité, les femmes échangent de la sexualité contre un engagement affectif du partenaire. Cette norme entraine l’idée chez les policiers que certaines dénonciations seraient une tentative de restaurer un honneur féminin entaché.
Concernant les mis-en-cause, ce sont les figures du prédateur et du goujat dominent : d’un côté, le prédateur, le violeur en série de voie publique ; de l’autre, l’homme au comportement certes moralement répréhensible, mais pas pénalement.
La culture atypique des policiers des services spécialisés en infractions sexuelles
La culture traditionnelle policière valorise la virilité (démonstration des prouesses physiques et mise en scène de la sexualité), et dévalorise les qualités traditionnellement féminines.
Au contraire, au sein des services spécialisés, la masculinité est valorisée à travers le contrôle de soi, comme le refus de sexualiser les interactions entre collègues ou avec des personnes extérieures. Les compétences traditionnellement considérées comme féminines (empathie, écoute, attention aux autres) sont ici valorisées. De plus, ces policiers défendent une morale sexuelle libérale. La frontière entre le permis et l’interdit ne se situe donc pas dans des considérations morales selon la présence ou l’absence du consentement.
Intervention de Quentin Coëdelo
La méconnaissance des mécanismes du droit par les personnes chargées de son application
Dans les bureaux des plaintes, les policiers sont souvent peu, voire pas formés, à la prise en charge des victimes de violences sexuelles. Des formations sont proposées au sein des services spécialisés et une trame de plainte adaptée a été mise en place et déployée sur la région Île-de-France, de façon à mieux orienter le dépôt de plainte, à mieux prendre en charge la victime et à obtenir les informations réellement nécessaires à l’enquête.
La recherche de l’absence de consentement chez la victime
Au cours de l’enquête, la question du consentement est souvent l’élément crucial qui va déterminer les suites de l’affaire. Il s’agit de déterminer dans quelles mesures la conduite de la victime révèle ce consentement ou son absence. Par exemple, une jeune femme a porté plainte pour harcèlement contre son ancien compagnon. Il la menaçait de diffuser des photos d’elle nue si elle le quittait. Cette dernière est donc restée avec lui, mais a pris vingt kilos et a arrêté de se laver. Dans cette affaire, c’est ce fait qui a permis aux enquêteurs de constater l’absence de consentement. Dans certains cas, la victime ne se rend parfois elle-même pas compte qu’il s’agit d’un viol. Se pose alors la question de savoir comment un enquêteur non formé peut déterminer l’absence de consentement.
Les particularités psychologiques et culturelles
Quentin Coëdelo insiste sur la formation des policiers par des experts, notamment en psychologie, afin de mieux identifier les effets du traumatisme sur les victimes. Par exemple, un comportement dit de « dissociation » peut amener une victime à raconter son viol avec le sourire ! Le policier doit être préparé à cela et pouvoir faire appel à un spécialiste afin de faire la part des choses. Une autre difficulté est liée à la culture des délinquants sexuels qui n’ont pas conscience qu’il s’agit d’une agression sexuelle, comme c’est le cas pour certains "frotteurs" dans les transports en commun. Il souligne ainsi l’importance de l’éducation à la sexualité et au consentement dès le plus jeune âge.
Le rapport de la victime à la justice
Un autre point d’attention se situe dans l’identification de l’objectif de la personne portant plainte. Dans certains cas, la plainte n’a pas pour objectif de punir l’agresseur mais plutôt de lui faire réaliser l’absence de consentement. Le policier doit alors en tenir compte et agir en fonction de cet objectif.
Compte rendu rédigé par Amélie Péters
Étudiante du Master « droit et stratégies de la sécurité » (Université Paris II - Panthéon-ASSAS), Association A2S
Crédit photo : unsplash.com / Gregory Pappas
Ont animé cette conférence :
Océane Perona, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université d’Aix Marseille, chercheuse au Laboratoire méditerranéen de sociologie (UMR 7305, AMU/CNRS).
Quentin Coëdelo, chef du groupe des infractions à caractère sexuel à la Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) de la Préfecture de police.