Cet article a été écrit par Romain Royet, adjoint au directeur général de la Sécurité civile et de la gestion des crises. Il est issu du n°69 de la Lettre d'information sur les risques et les crises (LIREC).
Le transport maritime et le trafic portuaire en pleine expansion
Le transport maritime, en progression constante, achemine aujourd’hui plus de 80 % du trafic mondial des marchandises 1. Son volume a doublé au cours des vingt dernières années, avec comme point focal les ports, lieux de transit, de stockage et de transformation de ces marchandises.
De 2 605 millions de tonnes en 1970, le volume de fret maritime dans le monde est passé à 5 984 millions de tonnes en 2000 et à 10 985 millions de tonnes en 2021 2.
Les ports européens ont traité 3 500 millions de tonnes en 2021, parmi eux les ports français en ont traité environ 10 % quand les ports néerlandais en ont traité plus de 17 %. Le port de Marseille, premier port français soutenu par les vracs liquides, a traité plus de 81 millions de tonnes en 2022, ce qui le place au sixième rang européen. Le grand port fluvio-maritime de l’axe Seine-Haropa, regroupant les ports du Havre, de Rouen et de Paris, a traité, quant à lui, 84,6 millions de tonnes en 2022, dont 75 % (environ 64 millions de tonnes) pour le seul port du Havre, ce qui le place au dixième rang européen pour cette activité 3. L’activité du transport des passagers représentait 25,5 millions de voyageurs embarqués et débarqués en 2019, soit avant la crise COVID, en France et se concentrait essentiellement sur le trafic transmanche avec 14,3 millions de passagers dont 8,5 pour le seul port de Calais 4.
Du cœur des villes, les ports ont progressivement migré vers des zones moins urbanisées et sont devenus de véritables sites industrialo-portuaires concentrant les lieux et les outils de chargement, les zones de stockage, les industries de transformation et les plateformes multimodales de réception et d’expédition de marchandises vers l’intérieur des terres. Ces industries, historiquement liées à la transformation ou au stockage des hydrocarbures, concentrent sur des surfaces limitées des activités souvent à risques.
Poumons économiques, ils sont pour certains territoires la seule source d’approvisionnement en denrées alimentaires, en matières premières ou en produits manufacturés. C’est le cas notamment dans la plupart des territoires ultramarins français, qui sont généralement dépendants d’un seul port.
Nombreux sont les sinistres qui jalonnent l’histoire portuaire, trouvant leurs origines aussi bien à bord des navires qui y opèrent que dans les installations industrialo-portuaires qui les structurent. Parmi ces accidents, on rappellera l’explosion de la cargaison de 3 000 tonnes de nitrate d’ammonium à bord de l’Ocean Liberty dans le port de Brest en 1947, ayant entraîné la mort de trente-trois personnes et en ayant blessé grièvement plus de mille ; le feu du dépôt d’hydrocarbures du port Édouard-Herriot à Feysin en 1987, qui a causé la mort de deux ouvriers et nécessité plus de vingt heures de lutte par plus de six cents pompiers ; plus récemment, l’explosion du port de Beyrouth qui, en août 2020, a coûté la vie à plus de cent cinquante personnes, a fait plus d’un millier de blessés et ravagé une grande partie des quartiers alentours.
Réorganisation des ports depuis la fin des années 2000
Le système portuaire maritime français se compose de plus de cinq cents ports décentralisés (ports de plaisance, de pêche ou de commerce) et de soixante-six ports de commerce maritime dont douze ports maritimes d’État, à savoir :
– 11 grands ports maritimes : Dunkerque, Haropa Port (acronyme de « Havre-Rouen-Paris »), Nantes-Saint-Nazaire, La Rochelle, Bordeaux, Marseille, les ports de la Guyane, de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion ;
– 1 port d’intérêt national, celui de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Établissements publics d’État ; installés sur de grands sites portuaires, les grands ports maritimes traitent plus de 80 % du trafic de marchandises. La loi no 2008-860 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a transformé les sept ports autonomes métropolitains en grands ports maritimes et en 2012, cette réforme portuaire s’est étendue aux ports d’outre-mer, portant ainsi à onze le nombre de grands ports maritimes.
Cette réforme de 2008 visait plusieurs objectifs :
– recentrer ces grands ports maritimes sur la gestion des infrastructures et la promotion de la place portuaire tout en renforçant leur rôle d’aménageur ;
– unifier la manutention portuaire en transférant l’outillage et le personnel grutier à des opérateurs privés de manutention ;
– moderniser la gouvernance des grands ports maritimes avec la mise en place de différentes instances (conseil de surveillance, directoire, conseil de développement).
En conséquence cohabitent dans ces enceintes des zones de manutention et de stockage de matières ou produits dangereux ou non, des usines de transformation de ces matières premières, des industries connexes, des terminaux de passagers ou de rouliers, des unités de productions d’énergie (renouvelable ou non) ou encore des chantiers de constructions et de réparations navales, le tout relevant d’un ou plusieurs opérateurs.
Aux risques induits par ces activités s’ajoutent ceux que représentent les navires lors de leurs opérations de transbordement de marchandises et de passagers, ainsi que lors de leurs opérations de maintenance.
Emergence de nouveaux risques
Les objectifs de décarbonation du transport maritime, avec pour ambition forte la réduction totale des émissions de CO2 à l’horizon 2050, impliquent de nouveaux risques, induits par les nouvelles énergies de propulsion et en particulier cette évolution déterminante qu’est la propulsion au gaz naturel liquéfié (GNL) de la plupart des navires désormais mis en service.
Si le GNL améliore significativement les conséquences environnementales du transport maritime, notamment en ce qui concerne les émissions de particules fines, ce carburant ne répond pas aux attentes en matière de rejet de CO2. C’est pour cette raison que les principaux armateurs envisagent actuellement l’acquisition de navires propulsés au méthanol ou à l’ammoniac, quand bien même ces procédés en sont encore au stade des études et qu’aucun essai grandeur nature n’a été réalisé.
En attendant l’arrivée de l’hydrogène dans le secteur maritime, les ports de Barcelone et de Marseille viennent de s’engager dans un ambitieux plan de développement pour la production d’hydrogène vert, son transport par pipeline et son stockage. Les opérations de soutage de ces nouveaux carburants comporteront des risques qu’il conviendra d’appréhender afin d’en limiter les effets.
Meilleure prise en compte dans l'organisation de la réponse de sécurité civile par les services de l'Etat
Si chaque activité est soumise à sa propre réglementation en matière de sécurité, répondant à des règles strictes, une approche globale semble dès lors nécessaire à l’échelon de l’enceinte portuaire, afin d’appréhender les conséquences d’un sinistre affectant un site portuaire sur les installations adjacentes.
Faisant le même constat et souhaitant améliorer le niveau de sécurité dans les ports, le Gouvernement a acté, lors du comité interministériel de la Mer du 17 mars 2022, le renforcement de la réponse opérationnelle des services de l’État.
C’est le sens d’une circulaire rédigée conjointement par la direction générale de la Sécurité civile et de la Gestion des crises, la direction générale des Infrastructures et de la Mer et la direction générale de la Prévention des risques visant à la rédaction, dans chaque grand port maritime (GPM), de dispositions ORSEC (organisation de la réponse de sécurité civile) à l’échelon de l’enceinte portuaire. Ce type de dispositions, déjà mises en œuvre dans les ports de Marseille et de Strasbourg, permettent aux préfets d’exercer pleinement leur rôle de directeur des opérations. Ils coordonnent ainsi d’une part l’autorité de police portuaire, les moyens d’exploitation (qui relèvent pour l’essentiel d’opérateurs privés), les prestataires de services portuaires (remorquage, lamanage, pilotage…), d’autre part avec les collectivités dans le cadre de leurs compétences respectives, notamment les moyens et l’organisation des services d’incendie et de secours, ainsi que les autres acteurs mobilisables en cas de sinistre d’ampleur dans l’un des sites du port. De cette manière, ce dispositif pourra être testé régulièrement lors d’exercices, ce qui assurera la pleine mobilisation et l’efficacité de chacun des acteurs lors d’un sinistre.
Pionnière en la matière, la préfecture des Bouches-du-Rhône a mis en place ces dispositions particulières au port de Marseille dès 2015 pour les bassins Est, situés au cœur de la ville et, en 2017, pour les bassins Ouest, implantés dans le golfe de Fos-sur-Mer. Articulant l’action de la capitainerie du port (autorité de police portuaire), du bataillon de marins-pompiers et du service d’incendie et de secours des Bouches-du-Rhône, ces dispositions ont permis d’unifier les procédures entre les deux bassins et de rapprocher l’ensemble des acteurs portuaires. Ainsi, les liens consolidés entre les acteurs ont permis de développer les partenariats et de multiplier les entraînements communs afin que chacun soit prêt à intervenir avec une efficacité maximale le jour J.
Cette circulaire précitée, qui devrait être signée au cours du troisième trimestre 2023, renforcera les mesures de planification et de préparation à disposition des préfets dans l’ensemble des grands ports maritimes et fluviaux afin d’appréhender de manière globale la sécurité de ces sites. Au regard des accidents exposés précédemment, cette démarche apparaît fondamentale pour assurer un haut niveau de sécurité dans nos ports.
Les répercussions de l’accident du port de Beyrouth en 2020, dont l’activité a été paralysée durant plusieurs semaines et dont une partie n’a toujours pas repris près de trois ans plus tard, en est une parfaite illustration. Cet évènement a contraint le Liban à réorienter son trafic maritime vers le port de Tripoli au nord, dont les capacités et les installations limitées ont fortement contraint les échanges commerciaux du pays.
Véritables enjeux de souveraineté nationale, voire d’importance vitale outre-mer, la sécurité de nos ports doit apparaître aux yeux de tous comme une priorité, car s’il s’agit en premier lieu de prévenir les accidents, il convient aussi surtout d’en limiter les effets. La planification ORSEC (Organisation de la Réponse de SÉcurité Civile) semble alors être un outil indispensable pour garantir la prise en charge d’un sinistre dans les meilleures conditions afin d’en limiter les retombées sur les plans humain, économique et environnementaux.
Notes
(1) Rapport de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), 2022.
(2) Rapport de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), 2022.
(3) Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « STAT INFO Transports », no 536 : « Le transport maritime de marchandises » au quatrième trimestre 2022 », mars 2023.
(4) Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, DATA LAB les chiffres clés du transport édition 2021, mai 2021.