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Résilience : perspective internationale de deux sapeurs-pompiers

Le contenu de cette page a été écrit et publié sous la direction de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) qui a rejoint l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI) le 1er janvier 2021. Il était important pour la direction de l'IHEMI de conserver l'ensemble du contenu de l'INHESJ, qui constitue désormais la mémoire de l'institut.

Résilience : perspective internationale de deux sapeurs-pompiers
10juil.20

Témoignages croisés d’un fireman anglais et d’un sapeur pompier français, qui partagent leurs regards sur le concept de résilience. Un article issu de la LIREC n°62.

Résumé

La proposition du sujet nous a été faite bien en amont du fléau qui traverse le monde actuellement. Nous aurions pu adapter et enrichir nos propos en nous appuyant sur la gestion de cette crise. Nous n’avons pas souhaité le faire car ce n’était ni le moment, ni le lieu et surtout nous n’en avions pas légitimité. Nous avons souhaité, au travers de nos articles, vous faire partager ce qu’était pour nous la résilience au regard de nos expériences respectives. C’est pourquoi, contrairement à cette introduction qui est commune aux deux articles, vous trouverez deux conclusions qui sont complémentaires et qui ouvrent sur des perspectives différentes.

Curt Varone

La résilience chez les sapeurs-pompiers, est à la fois une chose simple qui vise la force de l’esprit humain et également un sujet incroyablement complexe. Il s’agit de la même force, mais là les avis divergent. C’est une question d’appréciation personnelle : est-ce que le verre est à moitié plein ou à moitié vide ?

Dans l’optique du verre à moitié plein, la résilience est une valeur fondamentale qui est intégrée dans la culture et la psyché des pompiers. Ceux qui sont attirés par ce métier partagent une volonté d’aider autrui, ceux qui se trouvent face à des défis désespérés. Ils connaissent aussi les risques inhérents associés à leurs choix. En 1908, FDNY (Fire department of New York city) Fire Chief Edward Croker dit :

When a man becomes a fireman his greatest act of bravery has been accomplished. What he does after that is all in the line of work.

(Quand un homme devient pompier, son plus grand acte de bravoure est accompli. Ce qu’il fait après c’est accomplir son devoir.)

Lorsque vous combinez la noblesse de la mission avec l’acceptation d’un vrai risque de dommages, ce n’est pas étonnant qu’un lien très fort se développe dans le groupe. Ce lien se forge dans la mission partagée et dans le risque partagé. Il y a un accord implicite sur le fait que la sécurité de chaque intervenant et le succès de l’intervention dépendent des autres collègues pompiers. La lutte contre l’incendie est un sport d’équipe, et personne ne peut réussir tout seul. La coopération et l’esprit d’équipe sont valorisés alors que l’individualisme, la quête de l’attention personnelle, et l’égoïsme sont méprisés.

Ainsi, la mission des pompiers et leur culture propre deviennent indissociables. Ensemble ils promeuvent un sentiment de pouvoir faire face à n’importe quels défis, quels que soient les obstacles. Ne pas faire de son mieux, c’est mettre en péril la vie et les biens des personnes. Cela serait égoïste et la culture des pompiers abhorre l’égoïsme.

L’idée qu’on fait partie de quelque chose plus grand que soi est aussi intégré à cette culture de servir autrui. La fraternité des pompiers est si grande qu’elle s’étend au-delà des frontières, des communautés et même des pays. Cela transcende la culture et le langage.

Le lien entre pompiers est assez unique, ressemblant sous certains aspects à un régiment militaire entraîné au combat. Cependant, il existe plusieurs différences importantes.

D’abord, les membres des régiments militaires ne restent généralement pas ensemble pendant plusieurs dizaines d’années. Les liens d’une vie civile s’étendent également aux familles. Un réseau d’amitié se développe et permet d’adoucir bien des épreuves. Les fêtes, les vacances et les célébrations partagées approfondissent les liens.

Ensuite, la guerre ne se termine jamais vraiment pour les pompiers. Avant qu’une intervention ne prenne fin, les pompiers doivent déjà se préparer pour la prochaine. La culture met en avant la capacité à être tout de suite disponible pour répondre au prochain appel, sans vraiment connaître de pause. En vérité, prendre une pause entre des interventions est ressenti avec dédain et perçu comme un signe d’égoïsme et de simulation.

Finalement, dans chaque lutte contre l’incendie, le pompier fait face à un adversaire qui est manifestement mauvais. Il n’y a pas de nuances de gris. Il n’y a aucun sentiment qu’on se bat contre quelqu’un qui, dans d’autres circonstances, pourrait être un ami. Il n’y a aucune considération pour le besoin, ni de la pitié, ni de la compassion dans la lutte. C’est une bataille entre le bien et le mal au sens le plus pur du terme.

Ensemble, ces éléments produisent une culture qui est forcément résiliente. Que ce soit le résultat de la planification ou d’un simple hasard, les pompiers se réjouissent de leur capacité de gérer quoi que ce soit. En fait, les pompiers semblent être étrangement fiers de leurs capacités à gérer des situations extrêmes. Considérez cette citation d’Anthony Bourdain :

Firefighters... are a lot like the Marines.... No matter how badly led, ridiculously underequipped, underappreciated, no matter how doomed the mission, they take a bizarre and quite beautiful pride in at least being screwed more than every-one else and doing it with style. They seem to do what they do for them-selves. It’s not a job. It’s a calling.

(Les pompiers....ressemblent beaucoup aux Marines....même s’ils sont mal dirigés, incroyablement sous-équipés, sous-estimés, même si la mission est vouée à l’échec, ils sont fiers d’être davantage mis en difficulté que tout autre et ils le font avec style. Ils semblent faire ce qu’ils font pour eux-mêmes. Ce n’est pas un job, c’est une vocation.)

Tout le monde ne considère pas la résilience des pompiers sous un angle positif. Certains relèvent les aspects négatifs de la culture. Ce qui déplaît à certains, c’est la réticence d’accepter ceux qui ne s’intègrent pas dans une culture qui place l’équipe au sommet de l’échelle. Les individualistes et ceux qui ont des personnalités décalées se voient ostracisés.

Un deuxième sujet de préoccupation est la résistance des pompiers aux changements. Le statu quo représente la tradition et le respect pour nos prédécesseurs. Au niveau subliminal, le changement représente un rejet des choses qui nous tiennent à cœur. Parmi les changements contre lesquels les pompiers ont résisté, est l’acceptation des femmes dans les rangs. La détermination, qui est si essentielle en se bat-tant contre un incendie devient dans ce contexte un véritable adversaire.

Enfin, un troisième défi est la volonté des pompiers à faire face aux conséquences de l’état de stress post traumatique (ESPT) et au suicide. Certains remettent en doute la résilience des pompiers, suggérant qu’une vraie résilience permettrait de mieux gérer les suicides et l’ESPT. Ils assimilent cette résilience à une fonction de l’esprit du mâle dominant, qui en réalité empire ces problèmes.

Conclusion

Afin de réconcilier les deux perspectives sur la résilience il serait sans doute utile de faire une distinction entre la résilience de l’individu et celle de l’organisation. En ce qui concerne leur organisation, les pompiers accomplissent leur travail en surmontant n’importe quel obstacle. Même une personne décédée en service ne mine pas la détermination et la préparation de l’organisation pour le prochain appel urgent. La culture des pompiers insiste sur cette préparation.

Au niveau de l’individu, certains aspects de la culture des pompiers sont de nature à encourager la résilience organisationnelle mais, en même temps ils pourraient nuire aux pompiers. L’image d’un Grand Prix automobile peut illustrer ce paradoxe : les voitures pourraient être démolies, les conducteurs pourraient mourir, mais chaque année, l’événement aura bien lieu. C’est le prix à payer.

Le défi pour chaque organisation pour l’avenir c’est de maintenir la résilience organisationnelle en faisant le moins de dommages possibles aux individus qui porteront le flambeau quotidiennement.

Christophe Perdrisot

La littérature sur la résilience est riche et beaucoup d’aspects y sont traités. J’ai fait le choix dans cet article de n’aborder, de façon très modeste et somme toute assez parcellaire, que la résilience individuelle en psychologie vue au travers de mon expérience. Le regard que j’y porte est donc très personnel, il peut interpeler voire déranger.

La notion de résilience organisationnelle est assez « récente » dans le domaine de la Sécurité intérieure, elle apparaît d’ailleurs pour la première fois dans le Livre blanc de 2008. Pourtant la résilience en psychologie est plus ancienne et les acteurs du secours en France en ont toujours fait preuve sans pour autant y mettre un nom.

Nos orientations professionnelles se décident dans la majorité des cas à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte. Le niveau d’études est le critère déterminant. Rares sont ceux qui se posent la question de savoir s’ils vont être capables d’absorber, de surmonter et d’accepter les difficultés auxquelles ils vont être confrontées. La capacité de résilience psychologique est exclue de nos réflexions.

Avant de poursuivre, je me dois de définir ce que j’entends par résilience psychologique de l’individu : « faculté d’un individu à mobiliser ses capacités intrinsèques afin de faire face à une situation dépassant ce qu’il avait pu imaginer et apprendre de sa propre expérience ». Cette approche très pragmatique rejoint assez bien le concept de « coping » qui trouve son origine dans le verbe « to cope with » : « faire face à ». Le « coping »1 est « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu ».

La résilience telle que je la définis est un cercle vertueux qui s’articule autour de trois phases :

l’avant, avec l’apprentissage familial et professionnel ;

le pendant, où l’individu va aller puiser dans ses capacités, son background ;

l’après, avec la reconstruction.

L’avant

Par avant il faut comprendre « ce qui précède un événement ou une crise », de ce fait l’individu est toujours dans « un avant de quelque chose ». L’avant est une phase d’apprentissage primordiale et permanente. Elle va permettre à l’individu de se construire professionnellement et humainement. Cette construction va s’appuyer sur deux piliers principaux et interconnectés que sont l’éducation et la préparation professionnelle.

L’éducation va permettre le développe-ment et l’épanouissement individuels. Elle puise son « ADN » dans les valeurs inculquées par les parents et s’enrichit tout au long de la vie en société. C’est dans ces moments que l’individu façonne ses propres valeurs et qu’il va chercher son équilibre psychologique.

La préparation professionnelle donne et entretient le socle des connaissances. Chacun doit apprendre à se faire confiance et à faire confiance aux autres. Le professionnel a besoin de se confronter à la difficulté, d’approcher ses limites physiques et psycho-logiques, d’apprendre à réagir, à faire face. Dans les unités dites « opérationnelles » cette préparation est multi-forme mais elle doit répondre au moins à un objectif : acquérir une méthode de raisonnement applicable en situation de stress extrême. Un proverbe de la Légion étrangère dit : « entraînement difficile, guerre facile », mais il est ardu, voire impossible de pouvoir s’en-traîner en conditions proches du réel - seules quelques unités prestigieuses le peuvent. C’est pourquoi l’apprentissage professionnel est de tous les instants. L’individu doit se saisir de toutes les opportunités qui lui sont offertes pour apprendre sur lui-même, se remettre en question et essayer de trouver ses propres réponses.

Le pendant

L’individu vit et évolue, dans un environnement naturellement instable. Cet équilibre précaire lui demande une adaptation permanente jusqu’au moment où un événement va lui faire perdre ses repères, va déstructurer son organisation et le conduire dans un état de sidération où l’irrationnel l’emporte sur l’acceptable. Afin de clarifier mes pensées, je considère que cet état psychologique ne doit pas être assimilé à ce que l’on appelle couramment la collapsologie. Il s’agit plus là d’un état de stress extrême où l’ensemble des sens et des facultés à décider sont altérés. Nous sommes en droit de penser que dans cet état l’individu agit de façon désordonnée voire incohérente. Et pourtant les propos rapportés par certaines personnes qui ont vécu ces phénomènes, montrent que l’individu peut prendre des décisions cohérentes sans toutefois en avoir pleinement conscience. Cet état de stress extrême place l’individu dans un état où il fait abstraction du contexte environne-mental et émotionnel et se concentre (focalise) sur la mission. Nous sommes assez proche de ce que décrit Jean-Martin Charcot comme étant l’état second : « un état pathologique transitoire avec trouble particulier de la conscience, comportant une dissociation entre les activités automatiques, qui restent coordonnées bien que parfois incongrues et bizarres, et la personnalité, à laquelle ces activités restent étrangères, voire contrastent avec l’éducation reçue. ».

Ceci nous amène également à réfléchir sur un phénomène redouté en gestion de crise mais bien connu en mécanique quantique : l’effet tunnel, qui permet à un objet de franchir une barrière de potentiel même si son énergie est inférieure à l’énergie minimale requise pour franchir cette barrière2. L’ individu réalise des exploits qu’il ne s’imaginait pas capable de faire, « mais où a t’il été cherché la force ? ».

D’un côté nous avons un état qui va nous permettre d’agir par automatisme et de l’autre un phénomène qui va nous permettre de franchir un cap que nous imaginions infranchissable. Devons-nous y voir là une partie de la réponse à la résilience de l’individu ?

Un paramètre doit également être pris en compte : les émotions. En effet elles constituent souvent un obstacle au raisonnement qui doit rester lucide mais qui malheureusement n’est pas toujours impartial. Certaines situations demandent des choix cruciaux et imposent l’abstraction de sentiments qui peuvent représenter un danger. Ainsi dit, ceci peut apparaître cynique, mais l’individu a besoin de se préserver de la charge émotionnelle, souvent très forte, générée par un événement s’il ne veut pas s’effondrer.

L’après

Après un traumatisme le retour à la normale n’existe pas, l’individu va se reconstruire et évoluer vers un nouvel état. Deux étapes incontournables vont aider à cette phase de reconstruction : l’affrontement de la réalité et la reconnaissance du groupe.

Afin de pouvoir avancer mais aussi regarder en arrière l’individu va avoir besoin d’affronter la réalité et de faire son autocritique. Affronter la vérité fait peur, mais c’est un passage obligé pour progresser et passer à autre chose. Je citerai Friedrich Nietzsche4 : « Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort. ».

Pour être plus fort, l’individu a égale-ment besoin de la reconnaissance du groupe (professionnel, familial, sociétal, etc.). Dans l’armée, au sein des corps constitués, le sentiment d’appartenance à un groupe est un sentiment très fort, souvent appelé « esprit de corps », on parle aussi de « deuxième famille ». La capacité collective à surmonter une épreuve résulte de la somme des capacités individuelles : ensemble nous sommes plus forts.

Néanmoins, il faut toujours avoir conscience que quel que soit le niveau de décision, celle-ci n’appartient qu’à un seul individu : celui qui la prend et qui devra l’assumer. La reconnaissance du groupe va se faire in medias res ou a posteriori par l’approbation ou la désapprobation de la décision. Ce regard des autres qui doit exclure toute notion de jugement est essentiel pour permettre à l’individu d’accepter de se projeter dans un nouvel « avant ». Il y aura un avant et un après.

Conclusion

La résilience est donc une capacité vitale aussi bien pour l’individu que pour une organisation ou pour notre société. Cette capacité à « faire face », à « rebondir », s’anticipe et se prépare. Quel qu’en soit le coût il faut oser penser l’impensable et éliminer la fatalité de nos modes de raisonnement.

Notes

  1. LAZARUS,  Richard  et  FOLKMAN,  Susan,  Stress,  appraisal  and  coping,  New  York,  Springer, 1984
  2. MESSIAH  Albert.,  Mécanique  quantique,  Dunod,  p.456 ;   COHEN-TANNOUDJI  C.,  DIU B.et LALOË F., 2018. Mécanique quantique, [EDP-Sciences], p.930.

 

Derrière cet article

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Fonction Formateur en gestion de crise
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Fonction Chef adjoint pour Firehouse Magazine