Cet article, écrit par Erwan Dieu et Laurent Merchat, est issu du hors-série des Cahiers de la sécurité et de la justice intitulé "De la théorie de la prévention à ses applications numériques, la trajectoire d’une idée humaniste".
Introduction
Depuis la loi du 15 août 2014 et la circulaire de mars 2017, la justice restaurative est une mesure qui a vocation à s’appliquer concrètement sur le terrain correctionnel français. Toutefois, les dispositifs restauratifs habituels (p. ex. médiation, groupe, rencontre) ne sont pas toujours mobilisables dans les conditions actuelles et exigent des adaptations. Le Programme du parrainage de désistance (P.P.D.) est une innovation du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) de la Drôme (France) avec le soutien du Service de Criminologie ARCA. Il constitue une déclinaison des Cercles de Soutien et de Responsabilité (C.S.R.). Il ouvre la discussion sur le lien « Restauratif-Désistance-Réhabilitatif ». Ce programme original présenté aux journées internationales du good lives model (GLM) (Tournai, Belgique) sera ici exposé, discuté au regard des modèles criminologiques et des effets observés sur les participants.
Contexte du Programme de parrainage de désistance (P.P.D.)
La puissance publique a pour mission de maintenir l’ordre et de prévenir son trouble, notamment les atteintes à la sécurité des personnes et des biens. Depuis près de 20 ans, au cœur des préoccupations, avec plus ou moins d’acuité médiatique, la délinquance n’a cessé d’interroger quant à l’efficience de la réponse apportée. Les informations statistiques1 du Ministère de la Justice ont mis en évidence que l’infraction est trop largement commise par une personne ayant déjà été condamnée. Si les études chiffrées notent une variabilité selon la nature de l’infraction et selon le critère retenu (récidive légale, réitération, antécédent judiciaire) force est de constater le faible pourcentage de primo-délinquants (moins de 38% de la population pénale2 ).
La prévention de la récidive constitue depuis 2008 la mission principale des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), services déconcentrés de l’administration pénitentiaire. En 2012, elle est portée sur le devant de la scène politique et médiatique comme « un enjeu majeur pour la société et la justice » au cours d’une « conférence de consensus sur l’efficacité des réponses pénales afin de mieux prévenir la récidive ». La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a introduit la justice restaurative (J.R.) dans le Code de procédure pénale en son article 10-1 (Zehr, 1990). La circulaire d’application du 15 mars 2017 définit la J.R. « comme un modèle de justice complémentaire du procès pénal, qui consiste à restaurer le lien social endommagé par l’infraction, à travers la mise en œuvre de différentes mesures associant la victime, l’auteur et la société ».
Au sein des mesures pénales de justice restaurative, les Cercles de soutien et de responsabilité (C.S.R.) sont les seuls programmes à établir un consensus scientifique international ayant un impact direct sur la diminution du risque de récidive (Wilson et al., 2010). Au sein des C.S.R., un auteur retournant à la vie libre et présentant un haut risque de récidive est entouré par des membres de la communauté. Une fois par semaine pendant un an, le membre principal, les bénévoles et l’animateur se réunissent et font cercle. Ce dernier modèle peut être considéré comme dérogatoire à la J.R. puisque ne faisant pas intervenir les victimes. Fort de ce constat, en 2016, le SPIP de la Drôme, réunissant plusieurs personnels formés à la J.R., et considérant sa mission principale de prévention de la récidive, choisissait d’investir plus particulièrement les C.S.R.
Actuellement, ce service assure sur son territoire un volet de suivis chiffré aux alentours de 2 000 personnes condamnées, qu’elles soient physiquement hébergées au Centre Pénitentiaire (environ 450) ou placées sous main de justice en milieu dit ouvert (plus de 1 500). La mise en place d’un tel dispositif suppose beaucoup de temps professionnel. Or, la charge de travail individuel étant déjà conséquente, comment concentrer autant d’énergie pour quelques-uns, si « dangereux » soient-ils ? Ainsi, sans exclure la mise en place de C.S.R., la direction du SPIP inscrivait son service dans une démarche inspiré de la J.R. dénommé « le parrainage de désistance ».
Le Programme du parrainage de désistance (P.P.D. ou VoD pour volunteers of desistance) a débuté en décembre 2016 au SPIP Drôme-Ardèche jusqu’à la restitution de son évaluation auprès des participants en mars 2018. Il a été évalué en cours de programme par le Service de recherche en criminologie appliquée ARCA3 sur demande du SPIP. Le parrainage de désistance (Dieu et Merchat, 2018) est un programme qui met en place les conditions pour l’instauration de relations sociales, soutenantes, sincères et authentiques, entre des personnes bénévoles membres de la communauté et des personnes placées sous main de justice (PPSMJ).
La rencontre est fondée sur la liberté et la responsabilité de chacun, c’est à dire, sur le volontariat des participants, en l’absence de contrepartie. Tous les participants se réunissent une fois par mois et font cercle. Il est alors possible que filleul et parrain se choisissent dans une relation de parrainage dont ils déterminent la durée (4, 6 ou 8 mois). À l’heure actuelle, s’agissant d’un programme à entrée et sortie constante, on dénombre environ 14 filleuls et 14 bénévoles engagés actifs dans le dispositif (présents à la réunion mensuelle 7 fois sur 10 pour les premiers et 8 fois sur 10 pour les seconds). En juin 2018, après 18 mois d’existence, 25 condamnés se sont impliqués dans le programme, 20 contrats de parrainage ont été signés.
Théorisation du programme : un retour au contrat social par la criminologie positive
L’infraction est une atteinte portée au contrat social. Il convient donc non seulement de la sanctionner mais aussi et surtout de faire en sorte que le fait infractionnel ne se reproduise plus. Or, force est de constater que lorsqu’une infraction est commise, le procès pénal ne suffit pas pour extraire définitivement le risque infractionnel du tissu social, et, par voie de conséquence, pour rétablir confiance dans le lien social. Le procès permet de reconnaître un auteur dans sa responsabilité et une victime dans son préjudice. La Justice octroie au premier une peine et à la seconde des dommages et intérêts, à charge pour chacun d’eux d’assumer ensuite les répercussions que l’infraction a fait naître dans leur vie.
Le programme propose une déclinaison des principes et valeurs de la justice restaurative (Zehr, 2002) pour répondre à ce constat. Il est original car il s’affirme comme un dispositif susceptible de soutenir un grand nombre de personnes confiées par mandat judiciaire, quelle que soit la gravité des infractions commises. Nombre d’entre elles souffrent, en effet, dans leur processus de changement pour une sortie de la délinquance, d’isolement - car n’ayant pas toujours les points d’appui nécessaires - et de difficultés à s’inscrire dans la construction et la réalisation de leur projet – car ne disposant pas toujours des habiletés ou de la position de responsabilité requis pour un parcours d’insertion.
Le Programme de parrainage de désistance, par son nom même et ses objectifs, revendique des liens avec les théories de la désistance, mais aussi avec le good lives model (GLM) et le modèle de l’identité temporelle (TIM-E) (Dieu, 2018a). Voici les théories de la désistance pouvant être en lien avec l’approche choisie du P.P.D. :
- Selon Laub et Sampson (1993, 2001), le processus de désistance est à considérer en fonction des « points tournants » (p. ex. mariage, parentalité) qui disposent l’individu dans une trajectoire menant in fine à l’arrêt des comportements d’infraction.
- L’analyse phénoménologique de Maruna (2001) propose une lecture psychologique subjective du processus de désistance en deux strates. La désistance primaire caractérise la rencontre du sujet avec une période sans infraction, tandis que la désistance secondaire concerne le réaménagement identitaire du sujet via les rôles sociaux qu’il investit.
- La transformation cognitive (Giordano et al., 2002) envisage que les sujets puissent entrer dans une reconsidération de leurs convictions permettant de mettre à distance leurs comportements délictueux, tandis que la transformation affective (Giordano et al., 2007) suppose l’apprentissage d’émotions au contact d’interactions positives.
- Paternoster et al., (2015) prennent appui sur la théorie du choix rationnel selon laquelle un délinquant passe à l’acte à la suite d’un calcul coût / bénéfice qui lui semble propice à l’infraction. Une trajectoire ponctuée de plusieurs infractions bascule le calcul global dans le négatif et suscite chez le sujet une « peur de Soi » (self-fear), de ce qu’il est devenu via cette trajectoire (Paternoster et Bushway, 2009).
Le P.P.D. entretient aussi des liens étroits avec le good lives model (Ward et Brown, 2004), ainsi que d’autres approches océaniennes (p. ex. le multifactor offender readiness model de Ward et al., 2004). Le good lives model, comme le PDD, est un modèle attentif au bien-être du sujet et à son développement personnel qui vise la personne dans sa globalité. À travers le P.P.D., le sujet traverse un processus d’acquisition de capacités internes et externes pour envisager une vie davantage prosociale et épanouissante. Le modèle de l’identité temporelle TIM-E (Dieu, 2019) est un modèle de compréhension criminologique orienté sur les perspectives futures des auteurs d’infraction. L’objectif de l’accompagnement se focalise sur les ressentis temporels vécus par les sujets et les répercussions sur l’identité, entre sentiment d’unicité et mouvements perpétuels.
L’individu ressentira la « présence » de son identité désistante, initiant et facilitant dans le temps son processus de renoncement à l’infraction. Si l’intervention professionnelle ne peut prétendre avoir prise sur « l’âge, au sens de maturité », ou sur « les événements positifs de la vie (ex. : rencontre amoureuse, naissance d’un enfant) », il en est tout autre en ce qui concerne les deux autres facteurs de désistance4 : « le renforcement du capital humain (ex. : capacités de communication ou de gestion des émotions) » et « le développement du capital social (ex. : intégration dans des relations et réseaux sociaux non délinquants ou développement de compétences personnelles et sociales, insertion professionnelle) ».
Mise en application du Programme de parrainage de désistance (P.P.D.)
Le dispositif P.P.D. : un Cercle de soutien et de responsabilité entièrement réadapté
Le dispositif vise le renforcement du capital humain et le développement du capital social. Au terme de l’évaluation, ces objectifs se confirment non seulement comme des pré-conditions au changement vers la non-récidive à terme mais aussi comme vecteurs d’insertion (travail, formation, mise en place des droits sociaux…), et ce, sans que cette insertion ne soit portée dans ses outils comme objectif. Selon le principe de réceptivité (Bonta et Andrews, 2007), un programme efficient doit être adapté aux capacités de la personne. Le P.P.D. est un remaniement des C.S.R., tout en s’appuyant sur l’évolution des méthodologies d’intervention des SPIP (Lefebvre et al., 2018). Il témoigne d’une appropriation professionnelle de l’évolution de la mission de l’Administration Pénitentiaire.
Voici les points communs et les différences entre le P.P.D. et le C.S.R. (Dieu, 2018a) :
Les points communs entre C.S.R. et P.P.D. :
- Personne en situation de fragilité, parcours infractionnel marqué.
- Volontariat de la part du bénévole et du bénéficiaire (« membre principal »).
- Formation des bénévoles aux principes des C.S.R., de la justice restaurative, de la motivation au changement et de la désistance et de la prévention de la récidive. Réunion en dehors des locaux professionnels ainsi que des lieux intimes des personnes (lieux publics). Grande disponibilité offerte à la PPSMJ, rencontres possibles en plus des bases initiales du contrat (échange hebdomadaire).
- SPIP dans certains cas de C.S.R. en France.
Les spécificités du Programme de parrainage de désistance (P.P.D.)
- Tout type d’infraction, aucune évaluation du risque de récidive.
- 4, 6, 8 mois, renouvelable, devoir d’assister aux réunions mensuelles même sans parrainage. 1 bénévole « parrain » pour 1 membre principal « filleul », ouvrant sur un soutien individuel au quotidien.
- Rencontre mensuelle entre l’ensemble des bénévoles (parrains ou non) et des PPSMJ (filleuls ou non), dans une salle extérieure au SPIP. Les deux conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) coordonnent le cadre du groupe, notamment chaque mois.
- Animation directe par les CPIP du SPIP.
Intérêts du P.P.D. vis-à-vis du C.S.R. (pour le SPIP et la PPSMJ)
- Flux constant dans le recrutement des PPSMJ, avec une diversité de profils dans les échanges et une ouverture à plusieurs types de partenaires.
- Sécurité autour de la personne, ouverture au groupe même sans signature (Cercle secondaire à réunion mensuelle).
- Liberté dans le choix mutuel entre parrain et filleul, l’affinité devenant le meilleur suivi au quotidien.
- S’inscrit dans une optique de désistance, reliant la question de l’arrêt des activités infractionnelles au maintien des actions prosociales et de la réinsertion dans la société.
- Deux CPIP du SPIP, avec évaluation externe du programme.
Mise en action du Programme de parrainage de désistance (P.P.D.)
Le P.P.D. se présente aux PPSMJ à l’aide d’un prospectus intitulé Adopter un parrain ou une marraine de désistance. Les étapes du changement telles que simplifiées permettent d’emblée une évaluation collaborative claire et explicite. Étape 1 : « La motivation : je veux changer mais je me sens encore empêtré dans des comportements qui me freinent ». Étape 2 : « Le plan d’action : j’ai décidé de changer et j’essaye d’agir en conséquence ». Étape 3 : « La consolidation : j’ai changé mais je dois rester vigilant car j’ai encore des points de fragilité ». Ces trois étapes s’inscrivent dans la notion de réceptivité spécifique (Bonta et Andrews, 2007) et la théorie de la disposition au changement (Prochaska et Norcross, 2010) entre un stade antérieur dit de pré-contemplation – dans lequel le désir de changement n’apparaît pas vraiment comme point d’appui – et un stade postérieur marquant la sortie définitive de la délinquance – avec inscription satisfaisante dans le contrat social. Par le terme « adopter », la personne est d’emblée invitée à une participation active : la relation n’est pas à sens unique, choisir un parrain c’est prendre sa part de responsabilité dans la relation, c’est se soucier de l’autre dans la réciprocité.
Après un premier engagement oral de confidentialité auprès du CPIP animateur, la PPSMJ entre dans le cercle avec un badge blanc « prise de contact ». La réunion mensuelle a lieu en extérieur le premier samedi matin de chaque mois. Bénévoles et PPSMJ se réunissent alors en un grand cercle. Chaque participant est solidaire du groupe, de son fonctionnement, et veille à ce que chacun puisse s’exprimer dans le respect de règles de communication du P.P.D. S’en suit un entretien avec le CPIP animateur au cours duquel la charte du parrainage de désistance qui décrit la place et l’engagement de chacun est lue et explicitée. La personne peut alors faire le choix de s’engager ou non dans le programme, tout en sachant que sa participation n’aura pas d’incidence sur le traitement judiciaire futur. Si elle signe avec la direction du SPIP la convention d’engagement réciproque elle reviendra dans le cercle muni d’un badge indiquant son prénom et sa qualité de filleul.
À une exception près, toutes les PPSMJ qui ont pris contact avec le dispositif se sont engagés. Les badges colorés (selon la contractualisation) constituent le signe visuel que les participants sont alors tous reliés dans le dispositif, chacun ayant sa place. Lorsque la rencontre interpersonnelle amène au choix mutuel de s’engager dans un lien de parrainage, un contrat est signé dans le groupe pour une durée renouvelable de 4, 6 ou 8 mois. Chacun témoignera dans le cercle de cette relation, car tout ce qui est vécu dans cette relation peut être dit dans le groupe, même si tout n’a pas besoin d’être partagé.
Population accueillie : profils des PPSMJ « filleuls de désistance » et des Bénévoles « parrains de désistance »
L’analyse des casiers judiciaires des 18 PPSMJ engagés dans le dispositif au moment de l’évaluation témoigne en effet de parcours délinquant enraciné. Plus de 50% de l’effectif a été condamné au moins 5 fois. On remarque que 30% de l’effectif a été condamné plus de 10 fois (jusqu’à 29 condamnations), tandis que seulement 1 filleul sur 10 peut être qualifié de primo-délinquant. 70% des filleuls ont déjà été écroués. 50% ont déjà été incarcérés et 50% ont connu ou connaissent l’aménagement de peine. Seulement 20% ont bénéficié d’aménagement de peine sans passer par « la case prison ». La moitié de l’effectif est écroué pendant sa participation au programme (6 en placement sous surveillance électronique, 1 en placement extérieur) ou sort tout juste de prison (2 sortants depuis moins d’un mois). Le nombre de condamnations est lié à la durée de la période infractionnelle qui va de 1 à 19 ans, avec une moyenne entre 5 et 6 ans.
Vingt-trois types d’infraction ont été commises par l’effectif de filleuls, majoritairement des vols, violences et infractions routières. On remarque que sur les 45% de l’effectif responsables de vols, les trois quarts ont aussi commis des violences, que les 61% des condamnés pour violence l’ont aussi été pour infraction à la législation des stupéfiants ou conduite en état d’ivresse. 39% des filleuls ont commis au moins une infraction routière (aucun de ces derniers n’a été condamné que pour infraction routière). Les deux personnes ayant été condamnés pour homicide involontaire sont concernés par la consommation de stupéfiant, tandis que celui qui a été condamné pour agression sexuelle est impliqué pour conduite en état d’ivresse. Les condamnés engagés dans le dispositif sont des hommes (une seule exception). Les deux tiers ont moins de 30 ans, avec un écart d’âge entre 21 et 58 ans. Près de la moitié des filleuls vivent auprès de leur famille, il s’agit majoritairement des moins de 30 ans.
Les bénévoles impliqués dans le dispositif sont majoritairement des hommes. L’âge moyen est de 50 ans, avec une répartition des âges entre 26 et 78 ans. Ils sont issus de toutes catégories socioprofessionnelles ce qui contribue à la représentativité de la société. Les deux tiers sont en position d’activité (dont 2 en recherche d’emploi), ce qui permet un modèle plus rapproché sur les exigences liées à l’emploi. Les deux tiers vivent en situation maritale. La moitié d’entre eux témoignent d’engagement associatif par ailleurs. Soulignons qu’un parrain peut avoir été condamné, avoir été suivi par la justice, autrement dit être sorti de la délinquance. Dès lors, on ne se soucie pas de savoir qui est concerné. Et lorsqu’un filleul termine son suivi judiciaire après un beau parcours partagé et lorsqu’il change de place pour revêtir la carte parrain, personne ne s’étonne. Le dispositif n’a pas vocation à transformer les filleuls en parrains, mais cela est possible, preuve que la délinquance est un chemin de traverse, qu’elle peut être circonscrite à une période de vie, qu’elle peut être dépassée.
Retours concernant le P.P.D. : des résultats encourageants en termes d’engagement et de satisfaction
Engagement, attentes et satisfactions liées au P.P.D.
Le programme a été évalué sur sa période d’existence de 15 mois, de novembre 2016 à février 2018, date de l’évaluation (Dieu et al., 2020b). Au début du P.P.D., en décembre 2016, 2 PPSMJ étaient engagées pour 12 participants, pour atteindre 13 PPSMJ engagées et 23 participants sept mois plus tard en juillet 2017 et se stabiliser à 10 PPSMJ engagées et 23 participants jusqu’à l’évaluation du programme en février 2018. 12 PPSMJ sont en moyenne engagées pour 19 participants à la suite de la stabilisation du programme en avril 2017. Le nombre moyen de participants aux réunions mensuelles est 19, avec un taux de présence de 70% des filleuls sur la période d’engagement et 80% des parrains. Les contrats de parrainage sont variés, 7 PPSMJ se sont engagées 4 mois, 6 PPSMJ durant 6 mois et 3 PPSMJ durant 8 mois. Notons que trois contrats furent renouvelés 6 mois, dont deux qui étaient des contrats initiaux de 8 mois et portant le total à 14 mois de programme.
En termes de motivation au changement, une évolution des stades de disposition au changement de Prochaska et Norcross (2010) fut interrogée par les filleuls et parrains puis reprise par le CPIP référent du programme, et ce tout au long du P.P.D. Si l’on exclut les deux entrées récentes dans le dispositif et une succincte, sur les 15 filleuls dont la mesure était possible, il fut constaté une large évolution de la disposition des PPSMJ engagées dans le programme. Au départ, seulement deux semblaient déjà en action pour 10/15 en fin de parcours. Une seule PPSMJ sur 15 termine son parrainage avec une disposition de changement relativement faible
Plus que la disposition au changement, la notion d’engagement et de disposition au traitement (Ward et al., 2004) est aujourd’hui reconnue comme un élément probant sur la récidive à prendre en considération au sein des programmes réhabilitatifs (McMurran et McCulloch, 2007 ; McMurran et Ward, 2010). À l’entrée du programme selon la méthode d’analyse des motivations et satisfactions restauratives (Dieu, 2018b ; Dieu et al., 2020a), les sujets avaient des attentes plus ou moins fortes, variant en intensité de 54% à 74% pour une moyenne de 54% d’intensité maximale. Ce résultat est donc éloigné de l’intensité des satisfactions restauratives retirées du programme, avec une moyenne de 76% pour une variation allant de 61% à 89%. Les filleuls ont indiqué voir leurs attentes comblées, qu’ils « recommanderai[ent] ce programme à d’autres PPSMJ dans une situation semblable ».
Ils ont pu exprimer les conséquences positives du programme, qu’il s’agissait d’un « bon programme », qu’il « favorise les rencontres » et « aide à la réinsertion ». Ce que les parrains ont souligné sous l’angle interne du processus, c’est un programme qui « favorise les échanges et la confiance ». Les satisfactions cognitives et émotionnelles évoquent « apaisement », investissant grandement la « reprise du contrôle de sa vie, meilleure estime et confiance en soi », un « regard différent sur le parcours » en lien avec un « évitement récidive » largement rapporté dans les discours.
Une évolution des stades de changement observables depuis les narrations rapportées des Plans de vie
Sur l’effectif de filleuls préalablement décrit, lors de leur entrée dans le programme : 33% sont identifiés à l’étape 1 du changement et 54% à l’étape 2. Donc, seulement 13% ont déjà parcouru les étapes 1 et 2. Il est possible de remarquer que ce stade initial semble ne pas être corrélé avec la situation pénale préalable. Le fait d’avoir été ou non emprisonné ne présage pas du niveau de désistance, et on constate que l’aménagement de peine dans le parcours ne précise pas non plus le niveau de changement (écroué avec ou sans aménagement de peine : 1/3 au niveau 1, et 2/3 au niveau 2). À la fin du programme, entre 0% et 6% de l’effectif se situe au stade 1, entre 20 et 26% au stade 2, et entre 67 et 80% au stade 3. Si 87% de l’effectif présentait des comportements à risque infractionnel en début de programme, ce n’est le cas qu’entre 20 et 32% de l’effectif au moment de l’évaluation. Cela représente une sortie du risque infractionnel pour 62% à 77% des PPSMJ concernées. On constate que 81% de l’effectif a connu au cours du programme une variation significative de son insertion en termes d’emploi, d’activité ou de projet mis en acte.
On notera que cette évolution est particulièrement forte pour 31% de l’effectif. En termes d’évolution de trajectoire, nous observons un inversement des priorités de vie, qui démontre une volonté d’insertion sociale et professionnelle plus appuyée. La sphère relationnelle s’aménage de manière plus cohérente au regard des changements exprimés et souhaités par les PPSMJ mais également dans le cadre du contrat de parrainage et du cadre institutionnel du SPIP. Les souffrances, si elles sont toujours présentes, émotionnellement négatives et intensément ressenties, sont moins présentes au quotidien. Les personnes y accordent moins de temps, s’y exposent moins, d’autres aspects de la vie ayant été priorisés.
Nous émettons l’hypothèse d’une meilleure régulation cognitive des éléments de vie suscitant des émotions négatives. Les personnes, tant dans leur vision du présent que dans leur projection du futur, semblent concrètes et réalistes. Il ne s’agit pas d’un plan de vie fantasmé, mais d’une perspective subjective désirée construite à partir des changements en cours dans le présent. Elles sont dans une réflexion non pas de changement radical mais bien de réaménagement de leur quotidien, en vue semblerait-il d’une amélioration de leur qualité de vie (qualité des relations, qualité des investissements sociaux) qui tendrait à construire un bonheur accessible. Les PPSMJ apparaissent compétentes à établir les lignes du plan de vie qu’elles estiment adapté et à discriminer les apports positifs et négatifs de ce qu’elles investissent. Ceci est d’ailleurs tout à fait nouveau puisqu’elles évoquaient leur quotidien dans un ensemble auparavant neutre.
Retours concernant le P.P.D. : des résultats exploratoires encourageant dans une cadre de criminologie positive
Le P.P.D. favoriserait le rôle central de l’agency5 dans l’émergence et le renforcement de certains facteurs de protection et le lien avec les besoins primaires du good lives model
Les facteurs de protection s’envisagent comme des outils essentiels dans l’accompagnement du processus de désistance (Vries Robbé et al., 2015). Ils peuvent être définis d’un point de vue générique comme toute caractéristique propre à une personne, à son milieu ou à sa situation qui « réduit le risque de récidive violente » (Vogel et al., 2011 : 172). Trois modèles coexistent concernant les facteurs de protection (Ward, 2017 ; Vries Robbé et Willis, 2016 ; Serin, Chadwick, Lloyd, 2016 ; MacDonald, 2016) et ils se déclinent en trois sous-types et sont définis par des éléments bien précis : facteurs internes, motivationnels et externes (Guay et Vries Robbé, 2017).
Facteurs internes de protection :
- meilleure habileté d’adaptation et un développement de la théorie de l’esprit (plus que de l’empathie en soi) qui semblent émerger à travers la qualité de la relation qui se construit dans les liens établis entre les filleuls et parrains.
- emphase du facteur de maîtrise de soi avec une amélioration de la régulation cognitive des émotions et une meilleure maîtrise de la violence. En prodiguant des conseils inspirés de leur vie sur la gestion des situationsproblèmes et des éléments de rechute, les parrains (et autres filleuls) deviennent des miroirs et des modèles pour la PPSMJ. Ils soutiennent la conscientisation des limites des moyens de réponse et des alternatives cognitivo-comportementales et émotionnelles possibles.
Facteurs motivationnels de protection :
- la motivation au traitement apparaît dans la mise au travail de certains, notamment dans l’investissement d’un soin psychologique, mais également au regard du traitement des addictions, visible dans la diminution de prise de substances.
- l’investissement de la sphère professionnelle (travail) est mentionné comme un levier mais également comme une finalité par les filleuls et les parrains.
- les activités de loisirs sont citées au travers des voyages effectués ou envisagés et une meilleure structuration des activités sociales du quotidien.
- les échanges entre les filleuls et le soutien des parrains ont un effet sur la situation financière et la gestion financière des PPSMJ qui se voit impactée tant objectivement (p. ex. maintien du travail) que subjectivement (p. ex. valeurs dégagées et convictions entourant l’argent).
- l’attitude envers l’autorité semble avoir été modifiée.
- les objectifs de vie des PPSMJ sont impactés, avec des visées prosociales.
- la médication est visible dans les changements et actions de changement en lien avec l’évolution des Plans de vie concernant le traitement général de la prise de substances.
Facteurs externes de protection :
- le réseau social a évolué, les amis sont plus investis temporellement et certaines personnes évoquent un éloignement des éléments nocifs pour eux.
- la famille (ascendante et descendante) voit une évolution importante dans un investissement plus positif des personnes qui leur accordent plus de temps.
- les soins professionnels et le contrôle externe se recoupent au sein du programme, puisque les parrains au quotidien (et les autres filleuls et CPIP référents chaque mois) sont autant des éléments essentiels du contrôle social que des facilitateurs de soins professionnels. L’attention portée sur des valeurs prosociales partagées visant la non récidive et l’insertion légitiment le contrôle social formel et informel et l’évitement de l’isolement et l’exclusion (Wilson, 2007).
- l’importance donnée au couple et au conjoint suppose une amélioration et une modification des relations intimes et en partie des conditions de vie.
De manière générale, indiquons que plus le cercle est solide plus le travail mené semble profond et orienté à la fois vers les besoins personnels du membre principal (logement, travail, problèmes administratifs) et l’apprentissage de comportements positifs par le biais du modelage social. La relation à l’autre ici en œuvre est reconnue dans la littérature scientifique comme un élément majeur du champ réhabilitatif (Estroff et al., 1994 ; Grubin, 1997 ; Bonta et Andrews, 2007). Le groupe fait bénéficier ses membres d’une large ouverture, d’un espace sans jugement facilitant la confiance en soi. Les conseils et échanges autour de situations concrètes amenant des alternatives comportementales et cognitives favorisent l’expérimentation des solutions proposées dans la vie quotidienne. Le groupe réinterrogera (et le parrain au quotidien) l’individu sur sa situation et la mise en application ou non des conseils prodigués.
Nous retrouvons l’hypothèse de Ward (2017) selon lequel il faudrait dissocier deux classes de facteurs de protection : les capacités d’agency et les facteurs contextuels. Le programme est une mise à disposition d’un ensemble de facteurs contextuels positifs internes (dans le cercle) et externes (en dehors du cercle) à l’égard du sujet. Les capacités d’agency se voient investies et stimulées par cet ensemble de facteurs contextuels. Si nous ne pouvons ici prendre en considération les caractéristiques personnelles des sujets ou soutenir que l’interaction de ces facteurs contrecarre le risque de récidive, le processus présenté par le programme encourage la survenue d’effets positifs dans la vie du sujet – conformément aux facteurs facilitateurs, indépendants du niveau de risque de récidive (Farrington, 2016). Le P.P.D. est résolument ancré dans les approches de la criminologie positive (Dieu et al., 2020b). Par sa philosophie humaniste et ses actions il consiste en un accompagnement bienveillant et structuré centré sur le sujet et visant la définition d’une vie nouvelle à l’heure de son engagement dans une communauté. En ce sens, il répond également au principe fondateur du good lives model de promouvoir une vie épanouissante où l’infraction n’a plus sa place (Ward et Gannon, 2006).
Le P.P.D. répond en grande partie aux préconisations de la désistance
Le P.P.D. met en exergue les rationalisations et les questionnements identitaires, tant les possibilités de honte réintégrative (Braithwaite, 1989) que les ressentis de « peur de soi » (Paternoster et al., 2015). Avec une vie sociale diverse, le P.P.D. présente des figures d’identification positive pertinentes et soutient la transformation affective des PPSMJ (Giordano et al., 2007). La transformation affective est visible dans l’évolution et l’investissement des sphères affectives. Toutefois la transformation affective est encore de l’ordre des projections et aspirations inspirées des nouvelles interactions. C’est surtout la transformation cognitive des relations affectives qui est en jeu (Giordano et al., 2002) via les remises en question et contradictions assumées par les auteurs vis-à-vis de l’identité passée. Le programme démontre des effets sur la désistance primaire et secondaire (Maruna, 2004) à travers plusieurs éléments apportés dans les dossiers judiciaires (une baisse de la quantité d’occurrence durant le P.P.D.) et narratif sur le plan restauratif, socio-éducatif et psychologique. Les PPSMJ évoquent une amélioration de vie globale.
Le P.P.D. répond à plusieurs des éléments soulevés dans les théories de la désistance présentées, comme les éléments pratiques observés par Weaver et McNeill (2010) d’une part et Owers et al., (2011) dans le cadre de la réinsertion post-carcérale Irlandaise :
- Le programme favorise aisément les approches informelles entre les professionnels, les parrains et les PPSMJ. Il s’agit du cœur du contrat.
- Il respecte par essence l’individualité des sujets, en personnalisant la relation de parrainage et en écoutant de manière bienveillante et basée sur la progression propre à chacun de sa disposition aux changements vers la désistance.
- Le programme reconnaît l’importance des contextes sociaux tout en soulignant la centralité des initiatives individuelles et de l’engagement.
- Le programme est une disponibilité sociale et communautaire à l’égard de la PPSMJ. Il interagit sur les questionnements éducatifs, professionnels, économiques, sociaux, relationnels, affectifs. Il y apparaît le souhait d’un renforcement du capital social et de l’image de soi symbolique, le changement au niveau social s’opérant ici avec l’apparition d’un nouveau réseau de soutien identificatoire (les autres filleuls, les parrains, les professionnels, la modification du plan de vie).
- Effectivement, pour les différentes raisons déjà évoquées précédemment, le programme soutient et valorise les relations positives des sujets ainsi que leur processus de motivation et de disposition au changement.
- Le programme administre à la personne un traitement judiciaire particulièrement respectueux de ses droits, besoins et attentes.
Une démarche exploratoire encourageante à confirmer et des limites à combler
Nombre de PPSMJ ont déjà rencontré des professionnels dans leur parcours de vie, pour autant, leur situation n’a pas forcément évolué comme ils auraient pu le souhaiter. De ce fait, les condamnés n’ont trop souvent que peu d’espoir dans le suivi qui pourrait à nouveau leur être proposé. Leur parcours est fait de nombreuses exclusions venues signer le manque de solidité de l’intérêt qui leur était préalablement porté. Le P.P.D. apporte une expérimentation des rapports sociaux sensiblement différente : la conviction que chacun a droit de trouver au bout du compte une place satisfaisante pour lui et pour les autres dans la société. Le P.P.D. s’intéresse aux besoins personnels au quotidien dans une relation horizontale nouée avec le premier cercle.
Membre de la communauté à épanouir, et de fait à prévenir de la rechute, il se voit investi dans le dispositif de la mise en action de compétences d’auto-régulation sur les éléments internes et externes sources d’une infraction (Ward et Gannon, 2006 ; Yates et al., 2010 ; Ward et Beech, 2016). Pour autant, le P.P.D. montre encore des limites à combler, tant au niveau de sa structuration que de son évaluation. Voici sept améliorations à envisager : i) permuter les animateurs avec les référents ; ii) établir plus de liens avec les psychologues et le suivi CPIP ; iii) renforcer le suivi pour les personnes qui en ont le plus besoin ; iv) préciser les limites des approches informelles à l’aide d’exemples concrets issus de l’expérience ; v) accentuer les projections vers l’avenir ; vi) créer un référentiel commun partageable ; vii) renforcer le processus d’évaluation à l’aide d’outils structurés à l’entrée et la sortie du programme et un suivi de 3 à 5 ans des casiers judiciaires en plus d’une auto-évaluation.
Notes
(1) Infostat Justice n°50, 68, 88, 108, et 1227.
(2) Infostat Justice n° 127, graphique 1 : 63% des condamnés ont des antécédents judiciaires dans les 8 années précédentes - Champ exploré : condamnés pour crimes, délits et C5 entre 2004 et 2011.
(3) Association créée en 2008 dont le service est conventionné par le Service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (SADJAV) du ministère de la Justice concernant la justice restaurative et reconnue dans la circulaire de mars 2017 comme Service français de formation officielle de justice restaurative.
(4) Conférence de consensus p. 122 : FICHE 4 Les facteurs de risque, de protection et de désistance
(5) L’agency, ou l’agentivité, est un concept qui renvoie à la manière dont les personnes se considèrent comme décisionnaires de leurs actions dans un environnement donné. Il serait observé chez les personnes désistantes une narration évoquant un état d’agentivité dans leur vie, de prise de contrôle, à la différence des personnes récidivistes.