Cet article a été écrit par Benoit de Guibert, contre-amiral adjoint et secrétaire général adjoint de la Mer. Il est issu du n°57 des Cahiers de la sécurité et de la justice.
Le 3 juillet 2022 au lever du jour, à 112 miles nautiques au nord-est de la Guadeloupe, une opération d’interception du navire d’intérêt Silbermoewe a été conduite par la Marine nationale dans le cadre des dispositions de l’article 17 de la convention de Vienne, avec l’accord des autorités compétentes allemandes. L’arraisonnement du navire, dans des conditions de mer difficiles, permet de découvrir à l’issue de la fouille dix-huit ballots de stupéfiants testés positifs à la cocaïne. La quantité finale de stupéfiants s’élève à 445 kg de cocaïne. 9 800 € et 1 400 US$ sont également découverts à bord. Les autorités allemandes ayant renoncé à leur compétence juridictionnelle, les deux membres d’équipage font désormais l’objet d’une procédure judiciaire française.
Cette situation opérationnelle est rendue possible hors des eaux sous juridiction française grâce au maillage administratif unique mis en place par la France dans le cadre de l’action de l’État en mer (AEM). Ce concept recouvre l’ensemble des responsabilités et des pouvoirs de police relevant de l’État, différenciés selon les espaces maritimes définis dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer 1 : eaux intérieures, mer territoriale, zone contiguë, zone économique exclusive, haute mer.
De manière très concrète, l’action de l’État en mer repose sur quarante-cinq missions définies par un arrêté du Premier ministre du 22 mars 2007, qui confère un très large spectre d’actions au représentant de l’État en mer : de la défense des droits souverains et des intérêts de la nation jusqu’au maintien de l’ordre public, de la sauvegarde des personnes et des biens, en passant par la protection de l’environnement et la lutte contre les activités illicites.
Pour accomplir ces missions, la France a choisi de ne pas créer de corps de garde-côtes, comme celui des garde-côtes états-uniens (United States Coast Guard), afin d’éviter le risque d’une duplication des moyens et d’une dispersion de la cohérence de l’action de l’État, et a préféré le modèle d’une « fonction garde-côtes ». Ce concept français d’AEM privilégie ainsi une logique de métier : les administrations travaillant en mer et dotées des capacités opérationnelles et des compétences spécialisées 2, rassemblées depuis 2010 au sein de la fonction garde-côtes, exercent leurs missions sous la coordination d’une autorité unique, laquelle est en métropole le préfet maritime et outre-mer le délégué du Gouvernement pour l’AEM.
C’est la deuxième grande particularité de ce modèle : le préfet maritime et le préfet délégué du Gouvernement pour l’AEM, représentants de l’État en mer et donc de la Première ministre et des membres du Gouvernement 3, sont les responsables de l’AEM dans leurs zones maritimes respectives (voir la carte). Au bilan, aucune goutte d’eau salée sur la planète n’échappe ainsi au regard d’un représentant de l’État, y compris au-delà des eaux sous souveraineté (eaux intérieures et mer territoriale) ou sous juridiction (zone économique exclusive) françaises. À l’échelon central, le décret portant création d’un secrétaire général de la Mer lui confère la direction et la coordination de cette organisation 4.
L’AEM repose donc sur un double niveau de responsabilités : un niveau central, interministériel, chargé de définir la politique maritime, et un niveau déconcentré, qui agit dans le contexte interadministrations de la fonction garde-côtes pour la mise en œuvre des moyens aéromaritimes.
L’histoire de cette organisation est le fruit d’évolutions successives, profondément liées à l’évolution même de l’activité de l’homme en mer. Ainsi, si les missions historiques de l’AEM étaient corrélées à une approche classique de la police administrative (préservation de l’ordre public), l’importance croissante de la mer a peu à peu élargi le domaine d’activité du préfet maritime et, par conséquent, du secrétariat général de la mer. L’AEM recouvre ainsi une multitude de domaines, à l’image de la diversité du monde maritime : économique (le sujet d’actualité de la production d’énergie en mer), humain (les loisirs nautiques étant de plus en plus attirants), ou environnemental, avec parfois des prises de conscience douloureuses (du naufrage de l’Amoco Cadiz à celui du Grande America, en passant par celui de l’Erika).
Hier « simple » préfet de l’urgence, le préfet maritime a régulièrement vu rentrer dans ses attributions celles de préfet d’ordre, notamment avec le développement de la lutte contre le trafic de stupéfiants, la nécessité de contrer le terrorisme ou de lutter contre l’immigration irrégulière par voie maritime, l’opposition forte parfois rencontrée dans les missions de police des pêches, toutes ces évolutions traduisant un durcissement des missions de l’AEM. Pour l’accomplissement opérationnel de ces missions de police en mer, les administrations sont ainsi amenées à recourir à des moyens de coercition5 pouvant aller jusqu’au tir au but 6 sur un navire refusant d’obtempérer aux injonctions de stopper. L’autorisation de conduire de telles opérations relève de la Première ministre, qui seule peut en donner délégation au représentant de l’État en mer.
Dans un tout autre registre, le représentant de l’État en mer est aujourd’hui investi de responsabilités de régulation et d’organisation des activités économiques, de conciliation des usages en mer et de planification des espaces maritimes (notamment dans une fonction de « préfet coordonnateur de façade », en équipe avec un préfet de région, celui du siège de la direction interrégionale de la Mer). Cette évolution majeure repose sur le constat que la mer est un milieu spécifique et complexe, nécessitant une capacité développée et affirmée d’appréhension des interactions entre les acteurs, nombreux, et les exigences des éléments marins, changeants et hostiles.
Pour être pleinement efficace, l’organisation de l’action de l’État en mer, compte tenu de la diversité de ses missions, est tournée vers les grandes priorités régulièrement fixées et ajustées en comité directeur de la fonction garde-côtes, sous la présidence de la Première ministre :
– adaptation des moyens affectés au sauvetage de la vie humaine en mer et à l’assistance aux navires en difficulté, prenant en compte les évolutions du transport maritime, le gigantisme des navires, l’accroissement des loisirs nautiques ;
– maintien d’une capacité de réponse aux pollutions marines majeures et leur prévention ;
– renforcement de la sûreté maritime et portuaire, de manière à prendre en compte la menace terroriste et à endiguer le trafic de stupéfiants croissant dans les ports ;
– poursuite et renforcement de la lutte contre toutes les activités illicites par voie maritime, particulièrement le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains ;
– protection de la ressource halieutique, en luttant contre toutes les activités de pêche illégale ;
– surveillance des activités maritimes pour la protection de l’environnement, notamment dans les aires marines protégées, qui représentent 33 % des espaces maritimes français.
L’action de l’État en mer à la française est ainsi efficace, car elle a su s’adapter aux exigences des caractéristiques maritimes nationales, à ses évolutions, et elle offre la possibilité de renforcer la mutualisation des moyens afin d’œuvrer toujours plus efficacement à budgets constants. Le secrétariat général de la mer en est un acteur prépondérant, les affaires publiques de la mer étant par nature éminemment interministérielles.
Notes
(1) CNUDM III, dite de Montego Bay, entrée en vigueur le 16 novembre 1994.
(2) Marine nationale dont Gendarmerie maritime, Affaires maritimes, Douanes, Gendarmerie nationale, Police aux frontières, Sécurité civile.
(3) Décret no 2004-112 du 6 février 2004 et décret no 2005-1514 du 6 décembre 2005.
(4) Décret no 95-1232 du 22 novembre 1995, article 4.
(5) Décret no 95-411 du 19 avril 1995 relatif aux modalités de recours à la coercition et de l’emploi de la force en mer.
(6) Article R1521-5 du Code de la défense.