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La logistique de crise lors de la pandémie du covid-19 au Grand-Duché de Luxembourg

La logistique de crise lors de la pandémie du covid-19 au Grand-Duché de Luxembourg
22juil.21

Cet article, issu de la LIREC n°64, portant sur la place de la logistique dans la gestion de crise, vise à illustrer les activités et le fonctionnement de la cellule logistique du gouvernement luxembourgeois, avec un accent sur la cellule logistique du Corps grand-ducal d’incendie et de secours (CGDIS), lors de l’état de crise COVID-19 dans la période de mars à juin 2020.

La gestion de crise au Luxembourg

La gestion de crise au Luxembourg incombe au HCPN qui a, suivant la loi du 23 juillet 2016 portant création d’un haut-commissariat à la Protection nationale [2], comme tâches essentielles la prévention et la gestion de crises d’envergure, y compris les crises à caractère civil, la protection des infrastructures critiques et la coordination nationale de la lutte antiterroriste.

L’approche s’inscrit dans le concept de protection nationale « tous secteurs – tous risques » que le Luxembourg a mis en place après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Suivant [3], l’objectif de ce concept « étant celui de pourvoir le pays d’un concept global de gestion civile et militaire des crises. Cette approche consiste à prendre en compte tous les secteurs, quel que soit la nature des risques qu’ils présentent ou auxquels ils sont exposés et s’étend de l›analyse des risques à l’élaboration de mesures de protection pour identifier et contrecarrer l’intégralité des risques potentiels. »Afin de faire face aux risques et aux menaces majeurs, le HCPN s’appuie principalement sur des plans nationaux. Selon [3], il s’agit des plans d’intervention d’urgence (PIU), des plans de prévention, de protection ou de sécurité en général, qui, par leur envergure :

  • soit couvrent l’ensemble du territoire national ; soit engagent des capacités importantes de plusieurs administrations ou services ;
  • soit entraînent une gestion de crise interministérielle et, le cas échéant, internationale.

Historique

Compte tenu de la propagation du coronavirus nationalement et internationalement depuis le début de l’année 2020, le gouvernement luxembourgeois a dû prendre des mesures importantes afin de limiter la propagation dudit virus. Ces mesures prévoyaient d’adapter l’organisation du système des soins de santé pour faire face à une augmentation de personnes infectées et hospitalisées compte tenu du caractère dangereux et hautement contagieux du virus.En conséquence des tendances mon-diales et européennes, le gouvernement luxembourgeois a pris la décision de déclarer l’état de crise le 17 mars 2020. L’état de crise est défini dans l’article 32 de la Constitution luxembourgeoise (révision du 13 octobre 2017) [4] .

Dans ce contexte, la cellule de crise gouvernementale, sous l’autorité du HCPN, avait, au préalable, pris la décision d’instaurer une cellule logistique sous la responsabilité du ministère de la Défense au sein de la cellule de crise du ministère de la Santé.

En ce qui concerne les missions principales de cette cellule composée initialement de représentants de la Direction de la santé, de l’Armée, du HCPN, ainsi que du CGDIS, il a été retenu qu’elle serait le seul et unique acheteur, gestionnaire et distributeur gouvernemental des EPI et des DM pour les quatre hôpitaux du pays, les maisons de soins, le CGDIS et la population.

Le CGDIS, en tant que gestionnaire du matériel destiné aux missions de sécurité civile, a été mandaté pour gérer et coordonner toutes les activités logistiques relatives à la réception, au stockage et au commissionnement des différentes commandes du matériel géré par la cellule logistique gouvernementale. À cette fin, le CGDIS a mis à disposition les entrepôts de son Centre de soutien logistique – CSL, situé géographiquement au centre du pays – pour servir de stock national pendant cette crise. Dans le cadre de ces efforts, le CGDIS a travaillé en étroite collaboration avec l’armée luxembourgeoise pour assurer le stockage des produits dangereux, dont des solutions hydroalcooliques, ainsi que des missions logistiques diverses.

 

Figure 2.Entrepôt du Centre de soutien logistique servant de stock opérationnel du stock national  Source : CGDIS
Figure 2. Entrepôt du Centre de soutien logistique servant de stock opérationnel du stock national Source : CGDIS

 

Afin de remplir ces nouvelles missions logistiques hors du commun, le CGDIS a mis en place sa propre cellule logistique COVID-19 permettant de mettre en place toutes les procédures et les outils informatiques, ainsi que d’organiser les travaux administratifs liés aux opérations logistiques précitées.

Outre les tâches découlant des missions de la gestion du stock national, la cellule logistique du CGDIS gérait le stock propre au CGDIS, contenant tout le matériel nécessaire pour assurer les missions de secours à personnes dans le contexte de la pandémie, était chargée des analyses et des anticipations relatives à l’évolution des stocks, mettait en place les procédures, concepts et interfaces nécessaires pour la gestion des flux de matériel et des flux d’informations et planifiait les opérations logistiques de grande envergure.

Étant donné que le matériel avait été majoritairement importé de pays asiatiques au moyen d’un pont aérien sur la base de commandes faites auprès de fournisseurs non connus à ce stade, et compte tenu des expériences négatives des pays voisins du Grand-Duché, il s’est vite avéré qu’un contrôle de qualité du matériel était indispensable, afin d’éviter tout risque pour les soignants et la population.

La cellule logistique du CGDIS a donc élaboré une procédure pour assurer ledit contrôle de qualité. Cette procédure, axée sur un contrôle mutuel d’experts de la cellule logistique gouvernementale et le CGDIS, a été présentée le 30 mars aux responsables de la cellule pour être ensuite adoptée avec effet immédiat.

 

Figure 3.La Cellule logistique du CGDIS. Source : CGDIS
Figure 3. La Cellule logistique du CGDIS. Source : CGDIS

 

Après des analyses détaillées menées par le CGDIS et la cellule logistique, il est vite apparu que les capacités du CGDIS étaient insuffisantes pour stocker l’intégralité du volume de matériel, étant donné l’afflux énorme de matériel commandé, toutefois nécessaire pour faire face à cette pandémie globale.

Ainsi, le CGDIS a été mandaté pour réaliser une étude avec comme objectifs l’élaboration d’un concept pour l’intégration d’un stock tampon dans la chaîne logistique, d’une part, et la réalisation d’une analyse des prestations de différents acteurs professionnels du secteur de la logistique, d’autre part. En se fondant sur cette étude, les responsables de la cellule logistique, avec notamment le HCPN comme décideur principal, ont pris la décision d’attribuer à une société privée du secteur logistique la mission de mettre en place un stock tampon dans leur entrepôt sous l’autorité du CGDIS à partir du 2 avril.

À cause du caractère très évolutif de cette crise sanitaire, le CGDIS et la société logistique du secteur privé ont dû coordonner et gérer la mise en place de ce stock complémentaire dans un délai de seulement deux jours, tout en sachant qu’une telle opération s’étalerait normalement sur plusieurs semaines selon l’expérience de l’entreprise engagée.

 

Figure 4. Stock tampon mis en place dans un entrepôt du secteur privé. Source : CGDIS
Figure 4. Stock tampon mis en place dans un entrepôt du secteur privé. Source : CGDIS

 

Au plus haut de son fonctionnement, les stocks de la chaîne logistique étaient organisés comme suit :

  • stock national opérationnel du CGDIS – stockage de grands volumes et préparations des commandes pour les différents acteurs ;
  • stock national tampon du CGDIS dans l’entrepôt d’une entreprise logistique privée au sud du pays – stockage de grands volumes, triage des palettes provenant de l’aéroport de Luxembourg et de différents fournisseurs européens, prises d’échantillons pour un contrôle de qualité, approvisionnement du stock opérationnel sur demande du CGDIS ;
  • stock national de la Direction de la Santé – nécessaire pour pouvoir répondre à des petites commandes urgentes ;
  • stock national de l’armée – stockage des produits à base d’alcool et des produits de nettoyage.

 

Figure 5.Schéma flux de matériel et flux d’informations. Source : CGDIS
Figure 5. Schéma flux de matériel et flux d’informations. Source : CGDIS

 

Les interactions et les flux d’informations entre les différents acteurs, ainsi que les multiples flux de matériel entre ces entrepôts sont résumés sur le schéma suivant :Après cette opération complexe au centre névralgique de la chaîne logistique, le CGDIS a été confronté à de multiples défis découlant du plan de déconfinement mis en place par le gouvernement à partir du 15 avril. Ainsi, le CGDIS a été mandaté pour distribuer, ensemble avec les 102 communes du pays, environ 3,5 millions de masques, à savoir 5 masques par habitant, ainsi que des guides relatifs à leur emploi et des sachets d’emballage. Lors de cette première mission de grande envergure à assurer à côté des opérations courantes, la cellule logistique du CGDIS a réinventé son organisation dans un laps de temps serré. Outre les démarches administratives optimisées, un centre d’appels a été mis en place à partir du 16 avril avec comme mission de contacter d’une manière proactive toutes les communes, afin de coordonner les détails essentiels des différentes livraisons. Grâce à l’engagement du personnel de la cellule logistique du CGDIS, du CSL et des effectifs volontaires et professionnels des quatre zones de secours du pays, l’organisation et l’exécution de cette mission ont pu être assurées en moins de trois jours.

Dans le cadre d’opérations similaires, le CGDIS et les communes ont été sollicités ensuite pour la distribution de 650 000 masques et de solution hydroalcoolique aux écoles fondamentales début mai, ainsi que la distribution de 27 millions de masques aux habitants âgés de plus de 16 ans entre le 8 et le 13 mai en moins d’une semaine.

Le contact intensif et personnel par des entretiens téléphoniques, ainsi que l’encadrement moyennant un effectif renforcé au niveau du centre d’appels de la cellule logistique lors de ces missions hors norme ont permis de renforcer les liens entre le CGDIS et les communes, principales partenaires du CGDIS.

Fonctionnement de la cellule de crise et de ses organes respectifs

La cellule de crise gouvernementale, présidée par le HCPN et le ministère de la Santé, était composée de plusieurs sous-cellules spécialisées. Toutes ces sous-cellules instituées en fonction des besoins furent composées d’une multitude d’acteurs du secteur public, ainsi que de consultants du secteur privé (figure 7).

 

Figure 7. Structure de la cellule de crise gouvernementale. Source : HCPN
Figure 7. Structure de la cellule de crise gouvernementale. Source : HCPN

 

La cellule logistique, instaurée en date du 15 mars 2020, avait comme missions principales :

  • Acheteur unique, gestionnaire et distributeur gouvernemental des EPI et des DM pour les hôpitaux du pays, la COPAS, le CGDIS ;

Responsable pour l’organisation et l’exécution d’opérations logistiques et infrastructurelles de grande envergure.

Compte tenu des missions précitées, la cellule logistique gouvernementale devient pleinement opérationnelle deux semaines après sa création. La figure 8 décrit sa structure.

 

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Figure 8. Structure de la cellule logistique gouvernementale. Source : HCPN, et CGDIS

 

Étant donné sa complexité, il n’est pas procédé à une description exhaustive de toutes les entités de la cellule logistique gouvernementale. Afin de permettre au lecteur de déceler les grandes lignes de son fonctionnement, l’analyse se limite à une description des entités clés :

  • coordination générale (Défense, direction de la Santé), composée de hauts fonctionnaires de la Défense et de la direction de la Santé ;
  • traitement de l’information (direction de la Santé) : le point central de contact, qui traitait l’ensemble des informations et des demandes provenant de l’extérieur. Cette approche a permis d’avoir une vue d’ensemble sur tous les flux d’informations et une gestion irréprochable des demandes
  • gestion des stocks et collecte des données (direction de la Santé) : responsable du suivi du stock national géré par le CGDIS et des commandes provenant des hôpitaux, des maisons de soins et d’autres institutions du secteur de la santé ;
  • gestion du stock national (CGDIS appuyé par l’armée luxembourgeoise pour le stockage des produits dangereux) : entité externe, gérée par le CGDIS et représentée par un officier de liaison engagé au sein de la cellule logistique gouvernementale pour assurer la communication et pour assister à la coordination générale de la cellule ;
  • procurement (ministère de la Santé et consultants du secteur privé) : responsable de l’acquisition du matériel EPI et DM ;
  • procurement Asia (consultants du secteur privé) : régie par l’entité « procurement », cette entité s’occupait des acquisitions en provenance des pays de la zone Asie. Afin d’optimiser la communication entre les pays, son effectif était composé de personnes d’origine asiatique détachées par des entreprises du secteur privé ;
  • dispatching (experts logistiques du secteur privé) : opérations de transport quotidiennes et toutes les livraisons faites par la compagnie aérienne luxembourgeoise Cargolux ;
  • liens ambassade (ministère des Affaires étrangères) : coordinnation de toutes les interactions avec les pays étrangers dont les pays de la zone Asie, et ce afin d’optimiser les processus relatifs à l’importation du matériel acquis à l’étranger.

Dans l’optique d’optimiser les flux d’informations entre les différentes entités de la cellule et les intervenants externes, la cellule avait développé une procédure détaillée permettant de structurer ces flux de manière rigoureuse. La figure 9 reprend les interactions entre les différentes entités de la cellule et les fournisseurs externes définies dans ladite procédure.

 

Figure 9.Structure de la cellule logistique gouvernementale. Source : HCPN, et CGDIS.
Figure 9.Structure de la cellule logistique gouvernementale. Source : HCPN, et CGDIS.

 

En analysant les interactions entre les entités et leur composition, nous pouvons identifier une collaboration étroite entre des acteurs d’origines privés et publics qui ont formulé une réponse globale et cohérente.

Conclusion

Au printemps 2020, le Luxembourg, comme la plupart des autres pays européens a dû faire face à une crise sanitaire. Malgré l’existence de structures de gestion de crise, on s’est vite rendu à l’évidence : il fallait être réactif, flexible et innovant pour garder la maîtrise d’une situation qui évoluait rapidement et sans cesse.

La clé du succès dans cette première phase de la crise pandémique était indubitablement la capacité des pilotes du dispositif de crise à s’affranchir du carcan des responsabilités institutionnelles des différentes entités et de ras-sembler les compétences nécessaires pour apporter des solutions rapides et pragmatiques aux problèmes qui se posaient. Cette façon de procéder est parfaitement illustrée dans le fonctionnement de la cellule logistique gouvernementale, qui rassemblait des fonctionnaires d’état de différents ministères et administrations, militaires et pompiers, ainsi que des spécialistes du secteur privé, notamment du secteur de la logistique et du négoce inter-national, apportant des compétences particulières et maîtrisant en partie la langue des partenaires commerciaux.

Dans ce dispositif, le CGDIS, malgré sa récente création, a pu trouver sa place et faire sa preuve dans la gestion d’une crise d’envergure et ceci en favorisant une collaboration étroite avec les acteurs publics et privés concernés.Malgré le bilan positif en matière de gestion de crise, force est de conclure que la gestion de crise systémique au grand-Duché est encore à parfaire. C’est dans ce contexte que le CGDIS, en tant qu’acteur majeur de la gestion de crises de sécurité civile, prévoit notamment de renforcer ses capacités dans le domaine de la formation de gestion de crise et de la résilience de ses infrastructures critiques.

À cette fin, plusieurs mémoires de recherche sont en cours au sein de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers d’Aix-en-Provence et à l’université de technologie de Troyes.

 

 

TABLE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

Armée : Armée de terre du Grand-Duché de Luxembourg

CGDIS : Corps grand-ducal d’incendie et de secours

CGO Centre de gestion des opérations du CGDIS

COPAS : Confédération luxembourgeoise des prestataires et ententes dans les domaines de prévention, d’aides et de soins aux personnes dépendantes

CSL : Centre de soutien logistique du CGDIS

CSU-112 : Le central des secours d’urgence 112

DM : Dispositifs médicaux (respirateurs, seringues...)

EPI : Équipement de protection individuel (masques chirurgicaux, gans...)

HCPN : Haut-Commissariat à la protection nationale

SAMU : Service d’aide médical urgente

Notes

[1] Loi du 27mars 2018 portant organisation de la sécurité civile et création d’un Corps grand-ducal d’incendie et de secours, Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A.

[2] Loi du 23juillet 2016 portant création d’un haut-commissariat à la Protection nationale, Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A.

[3] Gouvernement luxembourgeois, Haut-Commissariat à la protection nationale, « Prévention et gestion de crises », [https://hcpn.gouvernement.lu/fr/ser-vice/attributions/missions-nationales/prevention-gestion-crises.html], mis à jour juin 2019, consulté le 22 décembre 2020.

[4] La Constitution luxembourgeoise, 2020, Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg, Mémorial A, no406, 15 mai 2020.

[5] Stammet P., 2020, «Le Corps grand-du-cal d’incendie et de secours. Un acteur incontournable dans la crise sanitaire COVID-19 », Médecine de catastrophe. Urgences collectives, vol.4, no4), p. 335-340

Derrière cet article

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Fonction Directeur général du Corps grand-ducal d’incendie et de secours du Luxembourg
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Fonction Chef de service - Corps grand-ducal d'incendie et de secours