Cet article, tiré du 65e numéro de la Lettre d'information des risques et des crises, a été écrit par Dominique Buffin, haute fonctionnaire de défense et de sécurité adjointe au ministère de la Culture.
Au cours des six dernières années, le milieu culturel a été confronté à des crises exceptionnelles en France. Certaines de ces crises étaient sectorielles, multifactorielles, ou souvent transversales : les attentats de Charlie Hebdo et ceux du Bataclan en 2015, la crue de la Seine en 2016, la dégradation de sites en 2018 lors de manifestations (l’Arc de Triomphe, le jardin des Tuileries), l’incendie de la cathédrale de Paris et celle de Nantes en 2019, et, depuis 2020, la crise sanitaire, au cours de laquelle il a été interdit aux organismes patrimoniaux et de spectacle vivant d’ouvrir au public, tandis que l’ouverture des archives, des bibliothèques et des lieux d’enseignement culturel était subordonnée à des règles sanitaires rigoureuses.
La crise relative à la pandémie de COVID-19 a démontré une grande capacité d’adaptation et une forte plasticité des professionnels de la culture, en ce qu’ils ont accepté les nouvelles règles et les ont mises en application. Ainsi, ils ont su inventer des substituts aux offres culturelles qu’ils proposaient auparavant, et adapter des solutions existantes. Une mesure comprise est une mesure qui fera moins l’objet de critiques et dont l’application sera plus aisée car mieux acceptée, et donc plus efficace à court, moyen et long terme.
La crédibilité de l’autorité chargée de la gestion de crise est donc essentielle dans ces périodes où les décisions doivent se prendre rapidement, avec des temps de consultation réduits. La crédibilité, le crédit ou encore la confiance accordée par la population à l’autorité qui gère la crise ne se décrète pas. De plus, dans la mesure où la crise est un déséquilibre, et qu’elle est considérée comme une anomalie par la population, le crédit disponible d’une autorité auprès d’une population va nécessairement se dégrader. Comment renforcer cette crédibilité pour faciliter et rendre plus efficace la gestion de crise ?
Il nous semble que cette crédibilité peut être travaillée et remise en question au cours des trois étapes suivantes : la recherche du renseignement utile à la décision, la communication sur la décision et la mise en application de la décision.
Chercher le renseignement utile à la décision
La décision peut s’appuyer sur des informations qui ne sont pas forcément partagées par tous, surtout dans le cas d’une crise à cinétique rapide, où le temps de la pédagogie vers les populations cibles est forcément contraint. Ainsi, plus la décision est étayée par des preuves de renseignements fiables, plus la crédibilité du décideur est augmentée.
Le choix des membres qui composent la cellule de crise, ainsi que des experts qui l’alimentent en renseignements, vont jouer un rôle non négligeable. Pour un évènement comme un incendie, la responsabilité de la gestion de l’évènement dans les tout premiers temps de la crise incombe logiquement aux pompiers. La police ou la gendarmerie nationales doivent également éventuellement assurer la protection du site afin de réguler la circulation, d’éviter un suraccident… Les services du ministère de l’Intérieur sont donc les services qui dirigent.
Toutefois, si l’incendie touche un monument historique bien suivi et documenté, dans ce premier temps de la crise, les experts comme l’architecte des Bâtiments de France, l’architecte en chef des Monuments historiques, le conservateur des Monuments historiques peuvent apporter un concours non négligeable, notamment sur la façon dont le feu peut être attaqué au regard de l’architecture du bâtiment, ou encore sur la mise en application du plan de sauvegarde des biens culturels (destiné à préparer le sauvetage du patrimoine mobilier le cas échéant). Ce sont également les professionnels du patrimoine qui seront capables de déterminer le temps nécessaire aux travaux de restauration, les problématiques du chantier à venir et ses éventuels chausse-trapes. Ce sont ces experts que le gestionnaire devra savoir écouter pour sortir du cycle de la crise qui ne se clôt pas simplement à l’extinction des dernières braises. La mise en œuvre de leurs conseils permettra éventuellement d’éviter un rebond de la crise.
Le nerf de la guerre de la prise de décision réside dans la fiabilité des renseignements portés à la connaissance du décideur et dans l’écoute que le décideur est capable d’accorder aux responsables qui l’entourent. Écouter les propositions ne signifie pas qu’elles doivent systématiquement être acceptées. Mais le devoir des participants à la gestion de crise consiste à exposer l’ensemble des solutions et des problématiques pour permettre aux décideurs de prendre une décision de la manière le plus éclairée possible.
Justifier les décisions et communiquer
Il peut être nécessaire d’exposer les différentes solutions qui se présentent, et d’expliquer pourquoi une décision a été prise plutôt qu’une autre. Par la suite, et pendant tout le temps d’application de la mesure, la communication peut être axée d’une part sur les modalités d’application de la mesure et d’autre part sur les marqueurs d’efficacité de cette dernière. Si l’exercice peut paraître chronophage, il est nécessaire pour obtenir l’adhésion, même rétroactivement.
La mesure de généralisation du passe sanitaire au mois de juillet 2021 aux musées, aux spectacles enregistrés (cinémas), puis au mois d’août à d’autres entreprises comme les restaurants, a pu faire l’objet de critiques de la part du grand public. Elle a notamment provoqué des manifestations qui ont rassemblé entre 150 000 et 200 000 personnes au plus fort de l’été dans le courant du mois d’août. La communication relative à la mise en application de cette mesure s’est faite en plusieurs temps et sur plusieurs aspects :
- Le président de la République annonce le 12 juillet que le champ d’application du passe sanitaire, réservé jusqu’alors aux évènements culturels et sportifs de plus de 5 000 personnes, va être largement étendu à compter du 21 juillet pour les activités pour lesquelles cette possibilité est déjà prévue par la loi, puis début août pour d’autres (après intervention du législateur).
L’objectif assumé et communiqué était d’encourager fermement à la vaccination, comme seule solution contre une nouvelle augmentation des contaminations. Si un peu plus de 60 millions de doses avait été administrées à cette époque, le rythme de vaccination risquait de ralentir en raison des vacances d’été. D’autre part, étant donné l’augmentation des chiffres de contamination, il fallait convaincre rapidement les personnes qui, sans être opposées à la vaccination, restaient indécises quant au fait d’effectuer cette démarche pour elles-mêmes.
- Dans les jours et les semaines qui ont suivi, les ARS ont travaillé à mettre en place des centres de vaccination dans des lieux de vacances des Français (y compris mobiles comme sur le Tour de France), afin de permettre à ces derniers de bénéficier d’une ou deux injections loin de leur domicile. Ces démarches ont, là encore, fait l’objet de publicité.
Au fil de l’été, de nombreux reportages sur les modalités d’application du passe dans les différents établissements qui y étaient soumis ont été diffusés.
- Fin septembre, le chiffre de 90 millions de doses de vaccins administrées en France était atteint, et le chiffre symbolique de 50 millions de personnes primo-vaccinées a été dépassé au milieu du mois.
Les contaminations sont en baisse depuis le mois d’août, ainsi que le nombre d’hospitalisations. Ces chiffres ont été communiqués au grand public pendant l’été, les activités qui avaient été empêchées ou affectées par les trois premières vagues épidémiques ont pu se poursuivre, et les manifestations contre le passe sanitaire rassemblent un nombre toujours décroissant de personnes (moins de 70 000 dans l’ensemble du territoire le 25 septembre).
La mise en application des décisions
L’autorité chargée de la gestion de crise est « autorité » notamment parce que c’est à elle qu’incombe la prise de décisions, et c’est elle qui dispose des ressources (financières, matérielles, humaines) pour les faire appliquer. Enfin, l’exécution d’un ordre, d’une commande d’une autorité, constitue une preuve en elle-même que cette dernière a autorité sur ses troupes. Le temps de la crise est d’autant plus une période de test de l’autorité que la décision doit être appliquée dans l’urgence.
Lorsque la décision est étayée par des renseignements que l’on estime crédibles, l’annonce de la décision aux populations cibles doit se faire rapidement, dès lors que la certitude qu’elle pourra être mise en application est acquise. La problématique à ce stade est moins l’adhésion à la mesure qu’il faut obtenir auprès du grand public que la conviction que les services qui doivent la mettre en œuvre ont compris la commande, sont capables de l’expliquer aux populations cibles et sont appuyés par d’autres services / administrations / structures qui contrôleront sa mise en œuvre.
La décision et son annonce doivent absolument être suivies d’effet si l’autorité souhaite conserver sa crédibilité. En d’autres termes, l’annonce d’une mesure contraignante que le responsable de la gestion de crise assume peut être de nature à renforcer son autorité, si les moyens mis en œuvre permettent à cette mesure d’être bien appliquée